S’approchant d’un groupe de manifestants, le journaliste interroge : « Qui dirige ? » « Personne ! », répondent en cœur les lycéens. Personne ? Ça n’existe pas. Il y a toujours quelqu’un derrière, quelqu’un en haut, pour tirer les ficelles. Le journaliste le sait bien, on ne la lui fait pas, à lui. Il insiste : « Qui dirige ? » « Personne ! On s’en charge nous-mêmes », répondent les lycéens, un peu excédés cette fois. Et s’éloignent, car ils sont venus manifester pour le retrait de la loi Devaquet, et non pour bavarder avec un journaliste qui, de toute évidence, n’est pas disposé à comprendre. La force de la grève générale étudiante et lycéenne qui balaya le pays, en ces derniers jours de l’automne 1986, tient tout entière dans cet échange. Car telle est bien la réalité : personne ne dirigeait ces centaines de milliers de jeunes grévistes et manifestants, ils se dirigeaient eux-mêmes. Et par eux-mêmes, ils l’ont emporté, posant au-delà de la loi Devaquet des questions nouvelles. Contraignant le gouvernement à un recul sans précédent, la grève générale des étudiants et des lycéens a atteint en totalité les objectifs qu’elle s’était assignés : le retrait des projets Devaquet et Monory. Mais, au-delà, ce mouvement de millions de jeunes (et aussi de travailleurs) a, en quelques jours, non seulement bouleversé la vie politique du pays, mais profondément ébranlé ses institutions et marqué de son empreinte la conscience de millions d’hommes et de femmes.