« ... Le Même et l’Autre ont des entretiens plus passionnés encore. Seul un tiers les entend et les voit, que je ne saurais être et qui parle. » Ainsi s’exprime ce tiers qu’est pour lui-même le narrateur ; il passe du je au il selon son humeur, souvent parodique ; parfois il s’interpelle ou choisit, quand il fait parler les autres pour lui, de se nommer Narcisse ou encore Endymion. Les « autres » ? Des doubles plus ou moins censurés à travers lesquels il cherche à saisir (ou fuir) sa différence. Entre eux tous sont privilégiés Monsieur Testes, qu’il admire, et Laure, sa compagne intermittente, qui, sur des modes divers, incarnent le « savoir ». Chercheur de son état, « avant de se laisser subjuguer par la Science », il voulait « capter l’essence (volatile) de son moi pour, dans de précieux flacons, la donner à respirer à de problématiques amateurs » : projet abandonné. Cependant, de plus en plus, il doute que les arts modernes de l’interprétation puissent l’aider à résoudre l’énigme de son mal comme celle, très quotidienne, de misère et de sang, que, professionnellement, il s’est donné pour tâche de déchiffrer. Sa vie a perdu l’usage de la parole, s’est écartée des mots, a glissé dessous, dévalé toujours plus bas ; plus rien en lui que le désir baudelairien d’« inspirer le dégoût et l’horreur universels ». Un moment la grande fête de Mai 68 semblera l’arracher à la prison dans laquelle il s’est emmuré. Répit de courte durée : la tyrannie du savoir détruite, il sait qu’il va s’inventer de nouveaux dieux auxquels une fois de plus il ne croira pas. Le langage — étrange loterie — fera-t-il exception ? Essai dont l’ironie consiste à traiter des idées sur le mode narratif, poème dont le lyrisme est perverti par la négation de son propre élan, Le Même et l’Autre, roman de l’impossible limpidité, peut se lire comme le récit d’une quête — désespérée ? — de l’amitié avec les hommes en même temps qu’avec soi.