« Je me suis rencontré entre deux siècles, comme au confluent de deux fleuves. J’ai plongé dans leurs eaux troublées, m’éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue. » Ainsi Chateaubriand se raconte-t-il dans une de ces formules superbes qui émaillent les Mémoires d’Outre-Tombe. Qui se souvient que la carrière de « l’Enchanteur » a commencé par un voyage aux États-Unis ? François-René de Chateaubriand, adolescent, inconnu, chargé d’une immense ambition, s’embarque pour Baltimore au seuil de la Révolution, pour découvrir — à la lettre — le Nouveau Monde : il veut attacher son nom à la découverte du fabuleux « Passage du Nord-Ouest ». L’explorateur manquera son affaire ; mais les Lettres Françaises y gagneront l’un de leurs plus grands écrivains. L’éblouissement des paysages américains a opéré le déclenchement qui a enfanté Atala ; le choc de la nature sauvage et d’une civilisation à son aurore nous a valu les premiers accents du Romantisme ; il a créé le personnage de Chateaubriand, poète, homme politique et voyageur. Peu importe que le « Prince des Songes » ait vu ou n’ait pas vu Washington, qu’il ait tremblé ou non devant les cataractes du Niagara, qu’il ait vraiment descendu le Mississipi et parcouru la Floride, comme toute son œuvre prétend le témoigner ! Autant d’énigmes, dont certaines sont résolues, d’autres non. Christian Bazin les a évoquées sans prétendre les trancher. Il a voulu faire partager sa conviction inspirée par sa propre ascendance malouine et étayée par ses recherches lors de plusieurs voyages aux États-Unis, qu’il fallait d’abord chercher la clef des sortilèges de Chateaubriand dans sa découverte de l’Amérique.