Je me rappelle très bien de Granpère.
La dernière fois que je l’ai vu il était monté en coup de vent (« en coud’vent » comme il disait) traiter un genre de questions dont il ne me livra pas le détail avec des gens du gouvernement ; de ces grands et graves commis de l’État qui ne se déplaçaient pas aussi facilement que les flibustiers policés avec lesquels il avait ses habitudes (tout ce noyau hétéroclite de relations, de connaissances et d’amis qui frétillaient dans ses alentours, toute cette... bigarrure, dont il a su forcer le respect en les tenant à sa pogne par des deals juteux qui les rendaient tout miel).
Mais d’ailleurs, c’était du flan, car si ces gens du ministère ne daignaient pas le visiter à la ferme dans un tout premier temps (parce qu’après c’était autre chose, ils étaient tout le temps pendus à ses basques), vraisemblablement pour sauvegarder les apparences d’une hiérarchie subtile, préserver une dignité spécieuse précieuse à des interlocuteurs mandatés soucieux de préserver leur différence par une distinction qui les établirait à leurs propres yeux pour un petit peu plus que des salariés, c’était de Granpère dont les ministres avaient besoin, et non lui d’eux.
Cantine est un paysage, ou peut-être une peinture : une image élégiaque assez noire, un collage émaillé de figures et de noms, de pastiches, de citations, d’emprunts et de renvois.
Évoquant les mille et un petits "faits" de cette campagne imaginaire, esquissant des figures, et entres autres un portrait de Granpère dont l’appât du gain et l’ultralibéralisme ne sont pas sans s’unir idéalement à l’avarice archaïque et séculaire du "paysan", le narrateur contaminé entre dans la danse, au risque d’y perdre la vie au cours d’un rétrécissement drastique du temps (« Les murs bleuissent et la nuit vient. »).
Par fragments et périodes, entre dialogues, monologues et descriptions, de Granpère en Toto, de Mirette à Quoiqui, c’est une sarabande paradoxale, lente, qui se déploie et se répète, avant de se refermer à la façon d’un éventail, d’un coup.
J’ai voulu me saisir de certains registres de la langue, entre le subjonctif et le vernaculaire, l’officiel et sa déformation, le propre et le vulgaire, et en les réunissant manifester autant ce qui les sépare que ce qui les rapproche, sur cette base extravagante d’une histoire à dormir debout. Ceci parce que ce ne sont pas les faits qui importent et constituent la chair du monde, la réalité à nos yeux, mais la manière de les raconter ; attendu que l’horizon du monde repose pour nous essentiellement sur les mots.
Du même auteur en ebook : "Couleur locale"
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Editeur : Libres d'écrire
Publication : 19 février 2015
Edition : 1ère édition
Intérieur : Noir & blanc
Support(s) : Livre numérique eBook [ePub + Mobi/Kindle + PDF + WEB]
Contenu(s) : ePub, Mobi/Kindle, PDF, WEB
Protection(s) : Marquage social (ePub), Marquage social (Mobi/Kindle), Marquage social (PDF), DRM (WEB)
Taille(s) : 345 ko (ePub), 1,17 Mo (Mobi/Kindle), 1,15 Mo (PDF), 1 octet (WEB)
Langue(s) : Français
Code(s) CLIL : 3442
EAN13 Livre numérique eBook [ePub + Mobi/Kindle + PDF + WEB] : 9782368451854
4,49 €