« Les grands hommes de l’Allemagne de 1848 étaient sur le point de connaître une fin sordide quand la victoire des “tyrans” pourvut à leur sûreté, les envoyant à l’étranger et faisant d’eux des martyrs et des saints.
Ils furent sauvés par la contre-révolution.
Mais il fallait rappeler quotidiennement à la mémoire du public l’existence de ces libérateurs du monde.
Plus ces rebuts de l’humanité étaient hors d’état de réaliser quoi que ce soit de concret, plus il leur fallait s’engager avec zêle dans un semblant d’activité inutile et claironner en grande pompe des partis imaginaires et des combats imaginaires.
Plus ils étaient impuissants à mener à bien une véritable révolution, plus il leur fallait soupeser cette future éventualité, répartir les places à l’avance et se plonger dans les délices anticipés du pouvoir. »
Lorsque Marx et Engels arrivent à Londres, ils ont été précédés par des compatriotes, militants du « Printemps des peuples », exilés comme eux. Refusant de réfléchir à leur échec pour préparer la révolution de demain, cette poignée d’intellectuels tient le haut du pavé sur une scène déjà médiatique, plus théâtrale que politique. Bouffons et traîtres s’y bousculent, que les auteurs épinglent au milieu de réflexions sur la mobilisation et la recomposition politique du mouvement révolutionnaire qui engendrera l’Internationale.
Écrit entre mai et juin 1852, ce texte n’a jamais été traduit en français. On y retrouve le ton incisif et parfois cruel de Marx lorsqu’il évoque ses contemporains – qui rappellent les nôtres.
Professeure d’histoire contemporaine à l’université de Lille-3, Sylvie Aprile est notamment l’auteure du Siècle des exilés, bannis et proscrits français au XIXe siècle (Éditions du CNRS, 2010)