La rue indienne me heurte de plein fouet. Je fais un pas en arrière tellement le choc est immense. À vingt ans, je viens de prendre l’Inde en pleine figure. Aucun de mes sens n’est épargné. Ma vision est assaillie de couleurs vives et d’images incompréhensibles. Le son des klaxons incessants se mélange à la voix distante du muezzin et à la musique criarde d’une sono, en plein exercice de distorsion. Mon nez est rempli d’une odeur puissante de vieille urine relevée par de l’encens et des épices. Avec ce gavage sensoriel, mon cerveau en surcharge décroche. Il se met en veille, se protège.
La mondialisation n’est pas encore passée par là. Rien ne correspond à ce que je connais. L’Inde s’immisce en moi jusqu’aux détails les plus intimes, en me dépouillant intégralement des certitudes que j’avais sur l’humanité. Après ce choc initial, pendant six mois, sac sur le dos, du Népal au Sri Lanka en parcourant l’Inde du nord au sud, je vais me reconstruire et devenir quelqu’un d’autre. Toute ma vie, je vais préserver en moi une partie de ce monde fabuleux.