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Résumé

Jakob Mendel ! Comment avais-je pu l’oublier tout ce temps, cet homme extraordinaire, ce phénomène, ce prodige insensé, cet homme légendaire, célèbre à l’Université et parmi un petit cercle de gens qui le respectaient fort, ce magicien, ce prestigieux bouquiniste qui, assis là sans désemparer tous les jours, du matin au soir, avait fait la gloire et la renommée du café Gluck ! Il me suffit de fermer les yeux une seule seconde pour regarder en moi-même, et aussitôt il apparut, éclairé nettement sur l’écran rose de mes paupières. Il m’apparut sur-le-champ en chair et en os, à sa petite table carrée au plateau de marbre gris sale, où les livres et les paperasses croulaient. Il trônait là, immuable, ses yeux cerclés de lunettes fixés hypnotiquement sur un livre. Tout en lisant, il grommelait et balançait de temps en temps son buste et son crâne chauve graisseux et mal rasé, habitude qu’il avait prise au cheder, l’école des petits enfants juifs, dans l’Est. C’est à cette table, et ici seulement, qu’il lisait ses catalogues et ses livres, comme on lui avait appris à le faire à l’école talmudique, en chantonnant doucement et en se balançant tel un berceau noir qui oscille. Car les pieux Israélites savent que grâce au doux balancement du corps oisif, leur esprit, comme l’enfant qui s’endort et qui échappe au monde, entre mieux par ce mouvement rythmé et hypnotisant, dans la grâce de l’extase. Et en effet, ce Jakob Mendel ne voyait et n’entendait rien de ce qui se passait autour de lui. On jouait au billard : les marqueurs allaient et venaient, le téléphone sonnait, quelqu’un récurait le plancher ou remplissait le fourneau. Tout cela passait inaperçu. Un jour, un charbon ardent, tombé du calorifère, avait mis le feu au plancher, tout près de lui, et déjà cela fumait ! Un client fut alerté par l’odeur suffocante et accourut pour éteindre le brasier naissant. Mais lui, Jakob Mendel, à deux pas de là et tout entouré de fumée, n’avait rien remarqué. Car il lisait comme d’autres prient, comme des joueurs se passionnent pour leur partie, ou comme des ivrognes suivent une idée fixe ; je l’avais vu lire avec un recueillement si parfait, que la manière dont lisent les autres gens m’a toujours semblé, depuis lors, une chose profane. Sans aucun doute, le pauvre bouquiniste de Galicie Jakob Mendel avait révélé pour la première fois au jeune étudiant que j’étais le grand secret de la concentration parfaite, propre à l’artiste et au savant, au véritable sage comme au fou intégral, ce bonheur ou ce malheur tragique qui fait de l’homme un véritable possédé.

J’avais été introduit auprès de lui par un camarade un peu plus âgé que moi. À cette époque, je faisais des recherches sur Mesmer, médecin et magnétiseur alors encore peu reconnu de l’école de Paracelse. J’avais beaucoup de mal à me documenter. Les ouvrages des spécialistes étaient tout à fait insuffisants. Le bibliothécaire à qui je m’étais adressé avec une naïve confiance m’avait répondu d’un ton bourru que ce n’était pas son affaire de m’indiquer les sources bibliographiques. Alors, le camarade en question me cita, pour la première fois, le nom de Mendel : « J’irai avec toi chez lui, me promit-il. Il sait tout et vous procure tout. Il te dénichera le livre le plus introuvable, caché dans la boutique du plus obscur antiquaire allemand. C’est dans ce domaine l’homme le mieux renseigné de tout Vienne. Et de plus, un original, le dernier représentant de la race antédiluvienne des bouquinistes. »

Auteur

  • Stefan Zweig (auteur)

    Cet article provient du Dictionnaire universel des littératures, volume 3, sous la dir. de Béatrice Didier, Paris, PUF, 1994. ZWEIG Stefan, 1881-1942 Autrichien. Stefan Zweig est né à Vienne en 1881 dans une famille de la grande bourgeoisie juive et il fut fortement influencé par l’impressionnisme esthétisant de la culture viennoise. Il s’est passionné très jeune pour l’univers de l’art et de la littérature, fit de nombreux voyages à travers l’Europe, et connut un grand nombre de personnalités du monde littéraire, notamment Émile Verhaeren, puis Romain Rolland. Installé à Salzbourg après la guerre, il y connut un succès international, mais choisit bientôt l’exil volontaire. C’est au Brésil qu’il se donna la mort le 2 février 1942. Très marqué par l’esthétisme “ fin de siècle ” de la génération qui le précédait, Stefan Zweig chercha à enrichir cet héritage en exaltant la passion et l’enthousiasme créateur. Ses nouvelles illustrent les découvertes de Sigmund Freud et ses deux recueils les plus célèbres, Amok, 1922 (Amok ou le Fou de Malaisie), et Verwirrung der Gefühle, 1927 (La Confusion des sentiments), reflètent une vision très moderne de l’âme menacée par des forces souterraines, tout en dénonçant l’hypocrisie de la morale sociale. Dans ses drames, il montre en outre que si la passion est tragique et destructrice, elle signifie aussi une victoire morale de l’esprit. Tout en étant profondément autrichien, comme le souligne son unique roman Das gefährliche Mitleid, 1939 (La Pitié dangereuse), il était profondément attaché à un espace culturel européen, dont Die Welt von Gestern, 1944 (Le Monde d’hier), est une évocation nostalgique. Ses essais littéraires et ses biographies romancées esquissent les figures les plus marquantes de cet univers, qu’il s’agisse de romanciers, de tempéraments lyriques, d’écrivains autobiographes, ou de personnages historiques tragiques (Marie Stuart, 1935 ; Marie-Antoinette, 1932). Enfin Stefan Zweig a aussi, en défenseur d’un humanisme européen épris de tolérance et de conciliation, pris violemment parti, avant la Seconde Guerre mondiale, contre la violence et le fanatisme dans Triumph und Tragik des Erasrnus von Rotterdam, 1934 (Erasme : grandeur et décadence d’une idée), et Castellio gegen Calvin, 1936 (Castellion contre Calvin).   u Gesammelte Werke in Einzelbänden, Francfort/Main, 1984. – Erasme : grandeur et décadence d’une idée, trad. fr., Paris, Grasset, 1935. — Castellion contre Calvin, trad. fr., Paris, Grasset,1946. — Amok ou le Fou de Malaisie, trad. fr., Paris, Stock, 1979. — La Confusion des sentiments, trad. fr. Paris; Stock, 1980. — Le Joueur d’échecs, trad. fr., Paris, Stock, 1981. — Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, trad. fr., Paris, Stock, 1982. — Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen, trad. fr., Paris, Belfond, 1982. — La Pitié dangereuse, trad. fr., Paris, Grasset “ Les Cahiers rouges ”, 1983.   l H. Arens, Stefan Zweig im Zeugnis seiner Freunde, Munich, 1968. — R. Dumont, Stefan Zweig et la France, Paris, Didier, 1967. — D. Prater, Stefan Zweig, Das Leben eines Ungeduldigen, Francfort/Main, 1984. — Coll. : Le Théâtre de Stefan Zweig, Paris, puf, 1976. Y. Iehl

Auteur(s) : Stefan Zweig

Caractéristiques

Editeur : Editions Le Mono

Auteur(s) : Stefan Zweig

Publication : 23 novembre 2022

Edition : 1ère édition

Intérieur : Noir & blanc

Support(s) : Livre numérique eBook [Mobi/Kindle + WEB + ePub]

Contenu(s) : Mobi/Kindle, WEB, ePub

Protection(s) : Marquage social (Mobi/Kindle), DRM (WEB), Marquage social (ePub)

Taille(s) : 714 ko (Mobi/Kindle), 1 octet (WEB), 233 ko (ePub)

Langue(s) : Français

Code(s) CLIL : 3442

EAN13 Livre numérique eBook [Mobi/Kindle + WEB + ePub] : 9782381114958

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