Le Dindon a été édité chez Balland en 1999 dans la collection Le Rayon dirigée par Guillaume Dustan.
Illustrations Hervé Gauchet

Extrait :
"Qu’il pleuve en averse d’acier dans un décor de fonte déchirée, sur un fond triste et gris, mortifié. Où les mauves, les guimauves, où les violacés se seraient emmêlés sous une voûte nuageuse. Une humeur orageuse aurait menacé de souffler, de déchaîner les vents. Des nappes de coton en effilochade, fuyeuses, auraient traîné des odeurs de poudre. Le tonnerre aurait pu éclater ; il aurait zébré l’immensité du ciel de ses puissantes veines bleues. Ç’aurait été spectaculaire.

Bien sûr.

Non.
C’est un après-midi d’été, un après-midi plat. Sa lumière est équitable. Sa blancheur est totale. Ce que l’on voit, c’est précisément ceci : le jaune paille d’une boutonnière de feu épinglée en travers d’un ruban de satin bleu, d’un horizon de largeur. Un turquoise de ciel aux grands angles d’azur que l’on pourrait presque toucher.
Tout va se jouer dans un pavillon de clairière au milieu d’un bois, une gloriette. C’est une folie, un désir comme une exigence. Plus exactement : une cloche de pierre, de verre et d’ardoise, dans laquelle l’espace est divisé depuis le point du centre en trois quartiers. Trois pièces aussi larges que nues. De surface strictement identique. Chacune des pièces s’offre à la suivante par une unique ouverture, un étroit soupirail d’une hauteur d’enfant dont le battant de petits carreaux est resté grand ouvert. Le cadre est clair, lumineux. Immaculé, devrait-on dire. Il offre le spectacle d’une bourgeoisie triomphante. Des murs ivoire immensément hauts se rehaussent avec affront d’épaisses corniches et de fines moulures. Des entrelacs de lierre, de liserons et de raisins plâtrés. Un chapeau de plafond éclaire l’endroit d’un blanc mat et brutal."