Se plaisant souvent à mettre en présence des individus trop dissemblables pour qu’on puisse penser qu’ils se sont rapprochés d’eux-mêmes, la destinée pousse parfois le caprice jusqu’à souder leurs existences pour se distraire de la façon désordonnée dont ils se débattent, croyant naïvement détourner le cours des choses : ils précipitent au contraire ainsi leur destruction mutuelle et c’est l’art du roman que de recueillir ces inutiles efforts. Dans Le Château de Charmes, un des personnages applique toutes les ressources de sa volonté et de son intelligence à briser un de ses amis qu’il envie, mais dont l’élévation de caractère constitue la meilleure défense. C’est donc indirectement, sur les proches de sa victime, qu’il exercera sa méchanceté. Il y réussira en partie car il y consacrera sa vie entière, mais le mal le gagnant à son tour, ce sera enfin lui-même qu’il finira par détruire. Amours contrariés et détruits, foyers brisés, c’est le tribut que coûte aux hommes la lutte entre le bien et le mal. Dans la grande lignée du roman psychologique, Le Château de Charmes est en même temps l’histoire d’une époque, la peinture fidèle d’un monde ébranlé auquel la dernière guerre a porté le dernier coup et pour lequel la sensibilité était le ressort essentiel. Dans un style très personnel et prenant, l’auteur fait évoluer des personnages vivants et naturels dans un cadre que chacun croit reconnaître tant il est authentique et vrai. Un humour d’une grande finesse vient atténuer la dureté d’une observation implacable, tempérée cependant par une profonde compréhension, une claire connaissance du cœur humain, que peut seule donner une intelligente expérience des choses de la vie que l’on n’acquiert qu’à grand prix.