Fou-Bar
janvier 2013
Merci à Carl Gallantpour sa patience, sa scienceet son indéfectible appui.Chez moi, tout crime a descorrespondances secrètes avec l'amour.Octave MirbeauChapitre IPour une glace à la vanilleAu départ, il n'y a rien, que le bleu fade du ciel au-dessus du plateau de la haute ville où se perd mon regard distrait. Puis une volée de pigeons plonge vers les soubassements de la rue Lavigueur pour se presser dans les fêlures du cap.À cette heure du jour où le soleil pointe lentement vers son zénith, la ville reprend son souffle. Les fonctionnaires fonctionnent, les gens d'affaires s'affairent et les secrétaires sécrètent... Tout baigne dans la brise humide de cette fin d'avril où percent déjà des parfums estivaux.Assis devant les cascades de l'Espace Saint-Roch, je guette les premières pousses du jardin. Au loin, les haut-parleurs de l'Îlot fleuri crachent l'Adagio d'Albinoni et je pense à ce violoncelliste de Sarajevo qui, chaque matin, l'entamait avec défi à la terrasse d'un bistro sous le sifflement menaçant des obus.Tout est pourtant si calme ici.Inauguré en grande pompe par la coterie des huiles de la ville, ce parc devait servir de pierre angulaire à la relance du quartier, un secteur triste, passablement abîmé. Comme pour tout ce qui fut édifié dans cette partie de la cité, ce que les experts avaient planifié ne s'est jamais concrétisé. Une fois la noirceur tombée, plus personne n'ose déambuler dans ce square sombre décrété «zone sinistrée».À l'image de mon pays, ma ville s'est développée un peu n'importe comment et, seul au centre de ce trou immense, je reçois l'Adagio comme la complainte des sans-emploi qu'on a chassés du quartier sous prétexte de le revamper. Aujourd'hui, l'échec est consommé. Les plans de relance des urbanistes s'effondrent les uns à la suite des autres avant même que l'encre de leurs rapports ait fini de sécher. En enfermant la belle rue Saint-Joseph dans son sarcophage de ciment pour en faire un mail sans fard et sans chaleur, on a cassé Saint-Roch en deux. Et du pus continue de couler de la cicatrice infectée. Faut-il attribuer au seul hasard le fait que tous les acteurs de cette jolie catastrophe habitaient alors la haute ville?Je glisse un doigt sur les derniers mots de Pauline. Une simple carte postale, quelques phrases griffonnées à la hâte pour se donner bonne conscience. «Température splendide. Les paysages sont magnifiques. Je te souhaite un bel été. Grosses bises. Pauline.» Sur la photo, Athènes et le Parthénon.Je balance le carton qui, à la manière d'un boomerang, revient se poser à mes pieds.Pauline est partie, il y a un an, avec un Gilles des Cantons-de-l'Est et aujourd'hui – enfin! – je n'en éprouve plus que de la nostalgie. Nous formions pourtant une jolie paire, elle et moi. Je lui avais promis mon cœur, mais j'étais dans le trèfle, car elle m'a mis sur le carreau comme un vulgaire deux de pique.Je ne lui en veux plus, suis passé à autre chose. Le temps a eu raison de ma soif de vengeance. Peut-être le pardon n'est-il que la forme vertueuse de la résignation... Avec ses arômes de terre humide, le printemps me ranime. À la moindre occasion, je suis prêt à bondir, à prendre mon envol vers un nouvel éden. Quand je roule ma bosse dans les rues du Vieux-Québec, la peau glabre et laiteuse des belles promeneuses sous le tissu léger de leurs robes multicolores m'excite à en rougir.