Et Lucia m'a raconté des histoires, des histoires du patio... C'est en effet de Lucia, sa belle-mère, que Mireille Adment tient tous les personnages qui peuplent ce livre — et d'abord Conrad, le père de Lucia — et leur histoire. Si elle a su les faire revivre avec tant de vérité et d'émotion, et recréer avec tant de justesse la vie des petites gens de Constantine, c'est qu'elle a vécu longtemps dans cette ville singulière de l'Est algérien où ses parents étaient instituteurs. Ainsi, tout est vrai dans ce récit, et c'est par là que, profondément, il nous touche. En Sicile, d'où il venait, on l'appelait Macho Corrao, maître Conrad, pour sa sagesse, son courage, son autorité. Contraint à l'exil, pour des raisons politiques, à la fin du siècle dernier, il gagne Constantine, où est déjà établie une forte communauté sicilienne — et c'est là qu'il devient Conrad le Sicilien. Toute la famille s'installe dans une maison mauresque qui donne sur un patio, sorte de cour commune à d'autres maisons où. vivent fraternellement musulmans, juifs et chrétiens. Tout un petit peuple que réunissent la même misère, les mêmes peines et les mêmes joies dans l'exubérance méditerranéenne. Les histoires du patio, les histoires de la famille, mais aussi l'Histoire, la grande qui, avec la montée du fascisme, le Front populaire, l'approche de la guerre, jette son ombre et ses ferments de violence jusqu'au cœur de la communauté. Et toujours cet homme de rigueur et de bonté : Conrad le Sicilien.