Encensé ou dénigré, l'intellectuel est l'objet de questionnements multiples. Aujourd'hui, on déplore ses silences, on conteste la démesure de ses ambitions, on constate son effacement dans l'espace public, investi par d'autres intervenants qui lui font concurrence et brouillent son image. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle qu'on se propose ici d'étudier, la situation est inverse. L'intellectuel, par sa conception de l'écriture, par la confiance qu'il a en ses pouvoirs, par le consensus qu'il finit par créer autour de sa personne, en dépit des résistances de toutes sortes, devient une figure triomphante dans l'espace européen de la culture. Ce livre entend étudier l'avènement de ce modèle, en recourant à un faisceau d'approches multiples et croisées : histoire des institutions culturelles, des pratiques de lecture, des modes de sociabilité, des lieux de communication et de pouvoir intellectuels, car cet acteur privilégié du champ culturel ne saurait être isolé d'un ensemble de pratiques et de stratégies qui s'objectivent dans un espace social. On ne négligera pas pour autant la part d'imaginaire que reflètent les représentations qu'il donne de sa fonction, la théâtralité de ses rôles, comme les discours par lesquels il légitime son accès à la vérité et, de fait, la place qui lui revient au sein de la société.