Né en Russie dans une famille favorisée par le sort j’ai vécu jusqu’à l’âge de quatorze ans comme un vrai petit prince dans des conditions de luxe et de confort qu’on aurait de la peine à se représenter de nos jours. Et puis vint la grande tourmente qui bouleversa tout et dont ma famille fut une des premières victimes. Arrêté à seize ans, déporté en pleine guerre civile comme otage, à Moscou, j’y ai passé l’épreuve de la peur, de la faim et du froid. Libéré comme mineur mais sans droit de quitter la ville, je me suis débrouillé pour être envoyé en mission dans l’espoir de traverser le front afin de rejoindre les miens. Pour des raisons indépendantes de ma volonté ce projet échoua et je suis resté encore près de deux ans sous le pouvoir soviétique, vivant dans l’illégalité, changeant souvent de domicile, abrité et nourri par des braves gens jusqu’au jour où j’ai pu traverser clandestinement la frontière polonaise et venir me réfugier en France. Ce récit n’est pas, certes, d’actualité. Les événements qu’il évoque sont vieux de cinquante ans. Pourtant je crois qu’il vient à son heure car, pour l’écrire il fallait juger les choses avec recul, sans aucun parti pris et non pas sous l’émotion du moment, ce qui aurait nui à l’impartialité.