Résumé
Après huit ans d'existence, pourrait-on dire de Littoral qu'il fait partie du paysage culturel nord-côtier et québécois? Peut-on en dire autant du Grénoc en ce qui concerne la recherche? Répondre à ces interrogations nous permettra de présenter succinctement le contenu du numéro 8 - que vous tenez entre vos mains -, mais encore de faire le point sur la vigueur et l'utilité des activités dans lesquelles ces deux entités sont engagées depuis leur création.Comme le numéro 7 de Littoral célébrait en quelque sorte à sa manière l'anniversaire des 75 ans de la fondation de Baie-Comeau en faisant ressortir les jalons et les piliers de son activité littéraire, le présent numéro, par le biais de la section «Inédits», présente certains des lieux septiliens de création, de réflexion et de production littéraire. Ainsi, le groupe Becs et Plumes se veut l'une de ces initiatives qui permettent d'explorer en atelier l'écriture sous plusieurs formes, ce dont rendent compte les quelques textes créés lors de ces rencontres dont quelques-uns sont publiés ici. Quant à lui, le Groupe Haïkus de Sept-Îles, sous la gouverne d'Hélène Bouchard, auteure de haïkus, s'attarde à perfectionner, à l'instar du mouvement initié à Baie-Comeau, cet art japonais du court poème. Nous publions aussi le résultat d'un groupe original et fertile pour qui les textes sont prétextes à la chanson: la Chansonnerie de Sept-Îles, comme nous l'explique Sylvie Pelletier, sert de cadre créatif à des auteurs, à des interprètes et à des musiciens qui, en mettant leurs talents en commun, parviennent à produire du matériel inédit leur permettant de mettre sur pied de petits spectacles de qualité et des chansons, dont vous pourrez lire les textes, qui parfois rendent compte d'une vision nord-côtière des choses. Toujours du côté de l'écriture de chansons, Sébastien Duguay évoque sa participation à l'été 2012 aux Ateliers Gilles Vigneault, à Natashquan; on peut avoir une idée du fruit de ses efforts à travers ses trois textes de chansons. Ainsi, Littoral participe activement à faire connaître ces cellules de création et à diffuser quelques-uns des textes qui y ont été créés et dont le propos est nord-côtier. Ce faisant, en plus d'être elle-même un produit de l'écriture nord-côtière, en plus de réfléchir à celle-ci, la revue enrichit son propre corpus d'étude.Deux autres auteurs établis viennent enrichir la section des «Inédits»: Monique Durand, journaliste, réalisatrice et conseillère au Cégep de Sept-Îles, nous livre une partie inédite d'un roman en cours d'écriture. D'autre part, Michel Noël partage quelques pages de son prochain roman, inspiré par l'amitié de deux hommes qui ont marqué la Côte - le Québécois d'adoption, Français d'origine, André Michel, et l'Innu Jean-Marie McKenzie.À ce propos, d'autres textes traitant des autochtones témoignent de leur présence de plus en plus affirmée dans le paysage littéraire nord-côtier. C'est d'ailleurs le cas des deux textes de la section «Dossiers» qui abordent, entre autres, des textes d'auteures autochtones, Natasha Kanapé Fontaine et Marie-Andrée Gill, figures montantes de l'écriture innue, mais aussi de l'actualité littéraire québécoise. L'Institut Tshakapesh - dédié à l'éducation des Innus, à la sauvegarde de leur langue et à la diffusion de leur culture - fait aussi l'objet d'un article où sont mises en évidence ses activités d'édition. Par ailleurs, de nouveaux collaborateurs viennent enrichir le volet de l'écriture innue: Julie Gagné propose une lecture fascinante d'une pièce du dramaturge Gilbert Dupuis, Kushapatshikan, inspirée d'un ancien rituel de la culture montagnaise, et le linguiste Robert A. Papen rédige un compte rendu détaillé d'un ouvrage collectif paru en 2011, Les langues autochtones du Québec: un patrimoine en danger. Enfin, un classique d'Yves Thériault, Ashini, est relu par Michaël Fortier qui s'intéresse au récit par son organisation centrée autour des concepts de filiation, d'altérité, de transmission et d'écriture.Yves Thériault n'est pas en reste dans ce numéro puisque nous publions également les derniers textes des communications du colloque de septembre 2011, Yves Thériault et la Côte-Nord: Francis Langevin (Université de Moncton) signe ici une lecture originale des textes de Thériault à partir du texte du Plan Nord (de l'ancien gouvernement québécois) et Anne-Marie Petitjean-Liégeaux (Université de Cergy-Pontoise, France) aborde l'oeuvre nord-côtière de Thériault à partir des lieux et de ce qu'ils évoquent.Outre Thériault, et dans un registre tota- lement différent, Henri Vernes, l'auteur de Bob Morane a tellement été fasciné par la Côte-Nord qu'il en a fait le décor de trois des aventures de son héros. Marie-Ève Vaillancourt l'a rencontré à Bruxelles et nous brosse, en rendant compte de l'entrevue, le portrait d'une légende vivante, maître du roman d'aventures au vingtième siècle.Enfin, des figures fondatrices de la Côte-Nord imaginaire sont au centre d'articles de fond. Il s'agit du Père Pierre-François-Xavier de Charlevoix, de l'Abbé Jean-Baptiste-Antoine Ferland et de l'Écossais James MacKenzie. Le troisième volet des textes relatant le naufrage à l'Île-aux-oeufs d'une partie de la flotte de l'amiral Sir Hovenden Walker, textes de l'auteur québécois Faucher de Saint-Maurice, vient clore cette série de Morceaux choisis qui relatent un épisode non seulement historique de la Côte-Nord et du Québec, mais aussi, en soi, littéraire.Par ailleurs, Littoral, c'est aussi, en soi, l'occasion de dessiner les contours de cet immense territoire à travers l'oeil de photographes, amateurs ou professionnels, qui offrent une vision concrète du décor dans lequel est campé l'imaginaire nord-côtier. Après tout, n'est-ce pas cette expérience visuelle de la Côte-Nord qui nourrit bien souvent les plus belles pages de l'écriture nord-côtière? Cette volonté d'illustrer la Côte en images, elle est présente depuis les débuts de Littoral, mais c'est la première fois qu'elle laisse presque toute la place à un seul regard à l'intérieur d'un même numéro. Originaire de Port-Cartier et maintenant basé à Dubaï, Francis Dufour nous a généreusement ouvert son portfolio pour nous offrir un regard à la fois poétique et très terre-à-terre de cet espace qui fait tant couler d'encre. De toute évidence, il aime exploiter les couleurs contrastantes de la Côte... Il précise d'ailleurs: «Les sentiments de liberté et de solitude que procurent les beaux et grands espaces de la Côte-Nord m'invitent à l'introspection et à la méditation. Dans ce cadre magnifique, la photographie est propice au ravissement, un merveilleux sentiment de plénitude que je souhaite partager à travers mon regard.» Évidemment, nous n'avons pu retenir qu'une petite partie du travail de cet enseignant qui a décidé de se consacrer entièrement à la photographie, mais il est possible de découvrir son univers artistique en visitant le site suivant: www.francisdufourphotography.com.Ainsi, que ce soit par la diffusion de textes inédits d'ici, par la présentation d'animateurs culturels, par l'analyse et la relecture d'auteurs francophones ou de textes innus, par la découverte de textes inconnus de la plupart, en particulier des textes d'auteurs anglophones, le Grénoc et sa revue Littoral sont au centre d'une production littéraire unique, en ce sens qu'elle s'ouvre à l'autre et à d'autres espaces littéraires, qu'elle nourrit une réflexion plus large, tout en se nourrissant, constamment, elle-même. En étant spécifique, par l'espace immense qui la définit, mais touchant aussi l'universel, par les époques, les thèmes et les cultures qu'elle embrasse, l'écriture nord-côtière peut charmer, mais surtout peut surprendre, non seulement par les textes eux-mêmes, mais par l'activité qui mène à sa mise au monde, en quelque sorte. On écrit à propos de la Côte, mais, quand on y est, sur la Côte, on écrit, intransitivement. La singularité de l'espace nord-côtier et l'éloignement - l'isolement, la solitude inhérente - sont sûrement des moteurs de cette écriture, tout en étant certains de ses thèmes les plus abordés. Le Grénoc et Littoral sont ainsi les moteurs d'une écriture qu'ils font naître et nourrissent, qu'ils chapeautent et dont ils font partie, tout à la fois. Ce qui est déjà pas mal, après seulement quelques années d'existence.