Résumé
L’histoire du baron de Trenck, de cet aventurier naïf, de ce Don Juan prussien et ingénu, a-t-elle inspiré à Voltaire les premiers chapitres de son Candide ? Peut-être. Candide est, par sa mère, bâtard de la maison de Thunder-ten-Tronck. Et Tronck n’est pas très différent de Trenck. Candide aime Mlle Cunégonde, fille plus noble que lui ; Frédéric de Trenck, simple baron, se permet d’aimer la princesse Amélie de Prusse. Le père de Cunégonde chasse Candide à coups de pied dans le derrière ; le frère d’Amélie, Frédéric II, après avoir semblé aimer Trenck presque aussi tendrement que sa sœur, lui fait expier son offense, ou de plus mystérieuses déceptions, par neuf années de cachot et des tortures inouïes. Pendant neuf ans, Trenck a vécu enchaîné, nourri de pain et d’eau, les pieds sur une dalle sépulcrale où son nom était inscrit. Presque autant que le héros de Voltaire, Frédéric de Trenck méritait de s’appeler Candide. Échappé à Frédéric II après une détention — bien anodine celle-là — il court l’Europe à la recherche de la fortune. On le voit à la cour de Vienne, dévote, hypocrite et parfois tragique, à la cour de Russie, ardente, barbare, corrompue. Il plaît aux femmes et connaît des aventures à la Casanova ; puis, un jour, follement, s’imaginant que Frédéric l’aime encore, fasciné par lui comme un étourneau, il vient se jeter dans ses griffes. Et l’implacable châtiment commence. Dans les châteaux royaux de Prusse, cependant, une lutte sourde s’engage entre Frédéric et sa sœur, lutte dont on n’a jamais percé le secret, mais qui conduit Amélie, dans sa violence et dans son impuissance, à se venger de la cruauté de Frédéric sur elle-même, à absorber des drogues qui lui ruinent le corps, et à se brûler à demi les yeux. De ce sombre drame, Trenck ne comprend rien. Délivré enfin, quand Frédéric, ayant fait d’Amélie un fantôme, ne trouve plus aucun plaisir à le martyriser ou à l’avilir, Trenck rentre dans le monde vivant, aussi étourdi qu’avant sa captivité. Pendant de nombreuses années, il papillonne. Toute vie sérieuse l’ennuie. Il achète des terres ; mais ses expériences ratent. Il ne sait pas « cultiver son jardin » ; et il recommence ses farandoles jusqu’au jour — plus de trente ans plus tard — où, la Révolution française le fascinant comme le roi si étrange de Potsdam l’avait fasciné, il vient à Paris, est happé par le nouveau monstre, et finit par être jeté à la guillotine, en thermidor, sur la Place du Trône renversé. Livre écrit librement, par un homme qui a le sens de la vie, qui craint par-dessus tout la pesanteur, qui a osé mettre en épigraphe à l’un de ses volumes antérieurs cette phrase de Voltaire : « Pour l’histoire, ce n’est après tout qu’une gazette ; la plus vraie est remplie de faussetés, et elle ne peut avoir de mérite que celui du style. » Paul Rival, auteur d’une célèbre Reine Margot, d’un César Borgia, d’un Henri VIII, etc., est un isolé qui n’a guère cherché les suffrages. Pourtant, Léautaud, critique peu suspect de tendresse et qui ne l’avait jamais vu, écrivait peur lui-même dans son Journal, en 1949, à propos d’une édition de Benjamin Constant qu’il venait de relire : « L’introduction de Paul Rival est remarquable. La littérature de ce temps-là, 1928 (je parle pour Paul Rival), valait mieux que celle d’aujourd’hui, savoir et langue, et avait un autre intérêt. Colette, qui ne l’avait jamais rencontré, elle non plus, lui écrivait, après avoir lu son premier livre : « Je détestais l’histoire, et vous me la faites aimer. »