Si l'on veut bien songer que les archives officielles de la guerre 1914-1918 ne sont pas encore rendues publiques, on concevra que l'on ne sache encore que très peu de chose des secrets, de la vérité, très éloignée de la vérité officielle, de la guerre 1940-1945. Un nouveau témoin, sortant du silence, jette une lumière inattendue sur un plan d'ombre. Qui est-il? le Colonel Groussard, qui, commandant de Saint-Cyr, forma la promotion de l'« Amitié Franco-Britannique» (1939). Il est Chef d'Etat-Major du Gouvernement militaire de Paris quand les armées allemandes entrent victorieuses dans la capitale. Son chef est le Général Dentz. Il n'a pas besoin de l'Appel du 18 juin pour poursuivre le combat contre l'ennemi. Avec l'appui du Général Huntsinger, et camouflé sous une façade officielle, il met sur pied l'organisation secrète qui pourvoira de cadres la future armée de la Libération. Ce que les officiers de la Wermacht ont fait en 1919, en 1922, en 1929, pour tourner les conventions de l'Armistice de 1918, le Colonel Groussard va le faire pour tourner celles de l'Armistice de 1940. L'affaire Laval fera échouer ce plan, sous sa première forme. Mais le Colonel Groussard ne se décourage pas. Convaincu de la nécessité de prendre appui en Grande-Bretagne, il décide d'aller à Londres. Sans ignorer systématiquement les Français émigrés à Londres, il veut agir en soldat, qui ne fait pas de politique. Et son intention est, afin d'organiser une véritable résistance en France, d'établir des liaisons directes et secrètes entre certains membres du Gouvernement de Vichy et le Gouvernement britannique, ces liaisons qui éclairent d'un jour nouveau le « double jeu » de Vichy. Il rencontre Churchill, Eden, Winant qui l'approuvent. Arrêté à son retour en France par les services de Darlan, il est interné à Vals-les-Bains, d'où il continue, grâce à des complicités efficaces, à diriger ceux des réseaux déjà constitués. Placé en résidence surveillée, puis de nouveau arrêté, relâché et encore une fois menacé, il échappe à la police et est contraint de poursuivre son action en dehors du territoire national. De Genève, il anime ses réseaux secrets qui couvrent la France et l'Italie du Nord. Quand on parlera de Vichy, et de la Résistance, quand on écrira l'histoire de l'Armée française entre 1940 et 1945, on ne pourra pas négliger ce grand document, riche de révélations, mais inspiré surtout par une bien rare probité intellectuelle.