Cet article provient du Dictionnaire des philosophes, sous la dir. de Denis Huisman, 2e édition revue et augmentée, Paris, PUF, 1993.Mise à jour prévue. ROSSET Clément, né en 1939 Professeur de philosophie français, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé, docteur ès lettres, Clément Rosset est, depuis 1983, professeur de philosophie à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de Nice. Après quelques essais philosophiques et écrits satiriques de jeunesse, Clément Rosset s’engage dans sa propre voie avec La logique du pire (1971), suivie de L’anti-nature (1973). Il précise la critique d’une quelconque instance “ naturelle ” par l’analyse des philosophies “ artificialistes ” (Empédocle, Sophistes, Lucrèce, Machiavel, Gracián, Hobbes) dans leur rapport avec cette hypothétique idée de nature et dégage les conditions de possibilité d’une philosophie approbatrice et joyeuse qui ne peut l’être que si elle accepte de penser le pire et de le pratiquer. Penser le pire revient à penser que ce qui existe n’est rien que ce que désigne le concept vide nommé hasard, autrement dit, la réalité lorsque ne s’y ajoute aucune idée de sens, d’ordre ou de nature. Clément Rosset précise cette position dans trois ouvrages qui forment un tout : Le réel et son double (1976), Le réel. Traité de l’idiotie (1975) et L’objet singulier (1979). Le déclassement de la “ différence ontico-ontologique ” comme question de l’être et la destitution d’une question préalable du fondement par rapport à l’acte de fondation du réel montrent pourquoi la difficulté à penser le réel tient à ce qu’il ne manque de rien, qu’il se passe de tout fondement, qu’il se suffit à lui-même. C’est là la thèse majeure du Réel et son double : le réel est ce qui est sans double et le fantasme du double trahit toujours le refus du réel. Croire qu’il peut en être autrement, c’est croire en l’illusion d’une positivité, “ sortilège ” auquel succombent trop souvent les philosophes (Le philosophe et les sortilèges, 1988). Clément Rosset aboutit ainsi à une “ ontologie du réel ” qui ne prend en considération que sa seule “ singularité ”. Le pari philosophique de cette position est de prétendre s’en tenir à cette seule considération du singulier, tout comme un personnage de V. Larbaud, cité dans L’objet singulier, qui ne déduit de l’immensité de tout ce à quoi il n’aura jamais accès aucune privation à l’endroit du peu auquel il a accès et “ tient ainsi son réel pour le bon ”. L’expérience de ce sentiment est La force majeure (1983) de la joie, approbation tragique qui sait allier la connaissance (du pire) et l’exaltation du fortuit ( “ sentiment du meilleur ” ). Il s’en dégage une “ éthique de la cruauté ”, qui consiste à accepter la cruauté de la vérité et du réel (Principe de cruauté, 1988). À l’aune des deux principes de cette éthique (principe de réalité suffisante et principe d’incertitude), toute position philosophique trouve sa juste mesure. Une réévaluation des interprétations traditionnelles de l’histoire de la philosophie est possible, qu’il s’agisse de l’ “ être ” de Parménide ou du “ gai savoir ” de Nietzsche ; des Principes de sagesse et de folie (1991) peuvent être cernés. l La philosophie tragique, Paris, puf, 1960, “ Quadrige ”, 1991 ; Schopenhauer, philosophe de l’absurde, Paris, puf, 1967, “ Quadrige ”, 1989 ; L’esthétique de Schopenhauer, Paris, puf, 1969, “ Quadrige ”, 1989 ; Logique du pire, Paris, puf, 1971 ; L’anti-nature, Paris, puf, 1973, “ Quadrige ”, 1974 ; Le réel et son double. Essai sur l’illusion, Paris, Gallimard, 1976 ; Le réel. Traité de l’idiotie, Paris, Minuit, 1977 ; L’objet singulier, Paris, Minuit, 1979 ; La force majeure, Paris, Minuit, 1983 ; Le philosophe et les sortilèges, Paris, Minuit, 1985 ; Le principe de cruauté, Paris, Minuit, 1988 ; Principes de sagesse et de folie, Paris, Minuit, 1991 ; Matière d’art. Hommages, Nantes, Le Passeur, 1992 ; En ce temps-là. Notes sur Louis Althusser, Paris, Minuit, 1992. Alonso Tordesillas