Au IIIe siècle avant Jésus-Christ, enseignait à Alexandrie le philosophe Hégésias. De tout le monde méditerranéen, la jeunesse venait à lui, avide d’entendre ses leçons. Il professait cependant que la mort est préférable à la vie, et il poussait ses disciples au suicide. Effrayé des effets d’une telle prédication, notamment pour l’avenir de l’Égypte, le pharaon Ptolémée ferma son école. Ce fut, à notre connaissance, le premier conflit de l’Histoire humaine entre le pouvoir et la caste intellectuelle, entre la raison d’État et la liberté d’expression. Le cas d’Hégésias est, certes, un cas-limite, mais il ouvre — entre le pouvoir et ceux qui écrivent, qui enseignent, qui peignent, qui sculptent et font métier de réfléchir ou de créer, les clercs et les artistes en un mot — une crise qui, sous de multiples formes, a duré jusqu’à nos jours, chacun des deux camps disposant d’excellentes raisons de s’opposer à l’autre. Tous les régimes, quels qu’ils soient, toutes les nations, tous les siècles, ont vu de tels affrontements que termina, bien souvent, la mort du plus faible. Cet antagonisme est-il inévitable ? Tient-il à la nature fondamentale des deux fonctions de gouverner et de penser ? S’il débouche, parfois, sur la tragédie, il était en germe dans le dialogue imaginaire que l’on s’est efforcé de reconstituer, ici, entre le philosophe et le pharaon. Mais voici qu’avec la télévision, le pouvoir a acquis une arme nouvelle, l’arme absolue. L’art de gouverner en a été bouleversé. Le conflit a changé de sens et de nature. Dans la conquête des consciences, l’intellectuel est battu d’avance...