Qui dit modernité pense liberté, égalité, démocratie, et considère que tout est bien. Ce livre entend montrer que ce n’est pas si simple. Car, si la modernité s’est étendue progressivement en Occident depuis deux siècles, elle s’est emballée au cours des années soixante, au point de changer subtilement de nature. D’où le paradoxe du monde où nous vivons : en apparence, les droits de l’homme triomphent, alors qu’ils sont méthodiquement vidés de leur substance par leur radicalisation même. Par là, l’homme moderne se retrouve isolé et piégé. En droit, il est fort de son autonomie, en fait, il est dépossédé de lui-même et placé sous influence. Le grand art de notre temps, est de donner au conformisme le visage de la liberté. Dans ce livre ironique et profond, où l’acuité de l’analyse est servie par une langue élégante et précise, on ne trouvera ni polémique partisane, ni lamentations stériles. Philippe Bénéton a longuement médité Tocqueville. À son exemple, il n’a d’autre ambition que de brosser un tableau, mais ce tableau est un guide pour le discernement. Alternant avec brio le raisonnement et l’apologue, l’auteur oppose ce qu’il appelle « les deux versions » de la réalité politique et sociale : une version substantielle, qui entend faire droit aux aspirations essentielles de l’être humain et se soucie donc de finalité, et une version procédurale, qui s’en tient à de simples règles du jeu et débouche sur un vide de l’être. L’originalité et l’audace des conclusions surprendront plus d’un lecteur. Elles sont, toutefois, très exactement à l’image de cet essai : dédaigneux du qu’en dira-t-on, mais soucieux de parvenir, par-delà les conformismes, à l’intelligence de ce qui est juste.