Celui qui, dès son berceau, grandit dans la tiédeur d’un amour familial, s’appuie sur une tradition, marche vers un avenir parfois difficile mais éclairé, peut faire assez facilement son unité intérieure. Mais pour Paolo le solitaire, l’enfant de l’hospice, le beau vagabond sans scrupule, la vie a plusieurs faces — et des volte-faces — qu’il essaye de refléter dans le miroir de son témoignage. « Je ne voulais devoir mon bonheur de possession qu’à la force dont seraient capables ces bras vigoureux, ce corps dur, cette tête lucide, qui étaient les seules réalités que je voulusse connaître. Mon orgueil m’empêchait autant de croire au diable qu’en Dieu. » Servi par la chance, payé de retour dans son fougueux amour d’adolescent pour la tendre, l’inconsistante Julietta qui gâche sa jeunesse riche et oisive en des plaisirs faciles, il mord dans la vie à pleines dents. « Les greniers sont pleins, la poudrière intacte… qui songe aux rats noirs et puants dans les égouts ? » Avec lucidité il contemplera plus tard le troisième aspect de son moi dans ce miroir dont parle l’Écriture dont il ne faut pas s’éloigner sous peine d’oublier son propre visage : « J’engrangeai le malheur dans la mesure où j’avais semé l’ivraie » dit-il fortement. Mais la Miséricorde avait, la nuit, au contraire de l’ennemi, semé aussi du bon grain dans ce champ inculte mais riche. Le maître de la moisson aura sa part, et aussi la fille forte, intelligente, généreuse et fidèle qui l’attendait pour un dernier amour. (Pour esprits formés)