Shen Fu (1763 - ?) était un lettré obscur qui dut faire figure de raté aux yeux de ses contemporains. Mais ses Six récits, dés leur publication posthume, couronnent un succès extraordinaire, en Chine tout d’abord, puis à l’étranger (où il fut traduit en plusieurs langues). Le propos apparemment modeste de Shen Fu – simplement raconter quelques expériences d’une vie sans grande histoire – a produit une œuvre d’une exceptionnelle originalité. Traditionnellement, l’autobiographie est un genre que la littérature chinoise n’a guère cultivé ; or celle-ci est non seulement vivante et candide, mais surtout elle s’attache à décrire un sujet que, tout récemment encore, la langue chinoise n’avait même pas de mot pour désigner : la vie privée – en l’occurrence, celle d’un couple amoureux (car les Six récits sont tout éclairés par la lumineuse présence de Yun, la femme du narrateur) qui cherchait désespérément à construire et à protéger son intimité à l’encontre des implacables conventions du monde.
Pour Simon Leys, son traducteur, Shen Fu « détient un secret dont nous avons besoin aujourd’hui comme jamais – le don de poésie, lequel n’est pas le privilège de quelques prophètes élus, mais l’humble apanage de tous ceux qui savent découvrir, au fil inconstant des jours, le long courage de vivre, et la saveur de l’instant »