Parmi les différentes conceptualisations dont le phénomène de la guerre a pu faire l’objet, l’œuvre de Thomas Hobbes (1588-1679) et celle de Carl von Clausewitz (1780-1831) se sont souvent trouvées rangées, depuis le développement du champ disciplinaire des relations internationales en particulier, parmi des auteurs dits « réalistes » tels que Thucydide ou Machiavel notamment. Or leur pensée respective semble échapper à toutes les formes de catégorisation : ni pur « réalisme », ni bellicisme, ni pensée de la « raison d’État », d’une part, ni idéalisme, « pacifisme », ou pensée de la guerre juste, d’autre part, l’œuvre de Hobbes et celle de Clausewitz occupent une place à part parmi ceux qui, semblablement à eux, ont pris la guerre pour objet de leur réflexion. Malgré les deux siècles et bien d’autres choses qui les séparent, une pensée hétérodoxe de la guerre se fait ainsi écho à travers elles. Hobbes comme Clausewitz s’efforcent en effet d’appréhender la guerre, non point en juristes, tel Hugo Grotius, ni même en spécialistes de l’art de la guerre, comme Machiavel, ou bien encore en moralistes, tel Juste Lipse, mais bel et bien en tant que théoriciens soucieux de saisir la logique présidant aux rapports conflictuels entre les êtres humains, c’est-à-dire à la fois la suite des causes et des effets conduisant à la guerre et l’ensemble des règles commandant le déroulement de cette dernière une fois enclenchée. Le tableau de la guerre qu’offrent par conséquent Hobbes et Clausewitz à leurs lecteurs, bien qu’il puisse paraître sombre ou cynique, n’est pas celui de la déraison ou d’une hybris totalement déchaînée : loin de présenter la guerre comme un phénomène inextricable, chacun s’efforce, à sa façon, de rendre intelligible le phénomène guerrier, d’en mettre à nu les principes et les ressorts à la fois passionnels et rationnels, nécessaires et contingents.