Cet article provient du Dictionnaire des philosophes, sous la dir. de Denis Huisman, 2e édition revue et augmentée, Paris, PUF, 1993. HALÉVY Elie, 1870-1937 Né à Étretat, deux ans avant son frère Daniel, mort à Sucy-en-Brie, fils du célèbre dramaturge Ludovic Halévy, l’auteur avec Meilhac de La Belle Hélène, de La Vie parisienne ou de La Périchole, entre en 1889 à l’École normale où il aura pour condisciples Alain, C. Bouglé ou X. Léon, et comme maîtres H. Bergson ou E. Boutroux. Agrégé de philosophie, il prépara une thèse importante sur la Théorie platonicienne des sciences (1896) qu’il publia mais ne soutint pas. Dès son passage rue d’Ulm il souffre d’un complexe dû à sa situation trop privilégiée. “ Il me déplaît de plus en plus – écrit-il à l’époque – de jouir d’une fortune que je n’ai ni acquise, ni méritée ! ” Et aussi : “ Le socialisme, grande, puissante et formidable doctrine que nous ne pouvons apprécier en France ! ” Cet intérêt, cette passion intellectuelle pour le socialisme, ne le poussera pourtant pas à rejoindre Jaurès qui, dès la fin du siècle, entraînera d’innombrables jeunes gens dans son sillage, dont Lucien Herr, Charles Andler et de nombreux “ archicubes ” de la rue d’Ulm. Mais le grand écrivain qu’allait devenir Halévy commence au début du siècle à rédiger une monumentale Histoire du socialisme européen qu’il “ enseignera ” quarante années rue Saint-Guillaume aux étudiants des “ sciences politiques ” mais qui restera inachevée à sa mort (1937). En attendant, il écrit de 1901 à 1904 les trois tomes d’un grand livre : La formation du radicalisme philosophique. Il publie fréquemment des articles et prononce souvent des conférences sur libéralisme et socialisme : il tente de trouver une explication économique et sociale aux divers faits politiques dont il est le témoin. Il se penche sur toutes les grandes crises européennes ; il annonce, détermine, voire prophétise en visionnaire les causes véritables de la guerre de 1914... cinq ans avant qu’elle ne soit déclarée ! Il va partager son existence entre la Société française de Philosophie qu’il fonde en 1900 avec Xavier Léon où il laissera en 1937 son testament philosophique, les congrès internationaux de philosophie, son enseignement aux “ sciences politiques ” et la Revue de Métaphysique et de Morale où il retrouve tous ses “ complices ” normaliens. De 1913 à 1923, il publiera six des dix volumes prévus de son Histoire du peuple anglais qui demeurera inachevée : “ La thèse du matérialisme historique, contestable si on veut l’universaliser, est vraie à certains égards en Angleterre du xixe siècle : la théorie naît de la pratique industrielle. ” On lui doit nombre de livres, études ou manuscrits de textes écrits seuls ou en collaboration avec Bouglé, l’éminent sociologue, professeur en Sorbonne et directeur de l’École normale supérieure comme par exemple ses essais sur Bentham, Sismondi ou sur Thomas Hodgskin (1787-1869) ou encore l’édition de L’exposition de la doctrine de Saint-Simon (d’Auguste Comte). Son dernier ouvrage sera posthume. L’ère des tyrannies sera publiée par ses nombreux disciples et amis, avec la préface de Bouglé à la nrf en 1938. Cette belle conscience (Rauh aurait dit “ une conscience qui compte ”) a traversé son demi-siècle en pilote avisé luttant contre toutes les tentations (fascisme, marxisme, nazisme) mais avec la ferme volonté de mieux comprendre, voire de mieux défendre la démocratie contemporaine. l La théorie platonicienne, Librairie Alcan, 1896 ; La formation du radicalisme philosophique, 3 vol., 1901-1904, Librairie Alcan, t. I : La jeunesse de Bentham ; t. II : L’évolution de la doctrine utilitaire de 1789 à 1815 ; t. III : Le radicalisme philosophique ; Thomas Hodgskin, Librairie Rieder, 1903 ; Histoire du peuple anglais au xixe siècle, 6 vol., Librairie Hachette ; Histoire du socialisme européen (inachevé) ; sur lui : numéro spécial Revue de Métaphysique et de Morale ; Bulletin de la Société française de Philosophie. Denis Huisman