"Aaron ! Cela fait six ans aujourd’hui, six ans que tu n’es jamais rentré à la maison, et sans que l’on ne sache trop pourquoi. Oh, cela faisait quelque temps que tu ressemblais à un loup en cage. Ton visage s’assombrissait autant que l’angoisse qui étreignait le cœur de ta mère. Quel chemin as-tu emprunté cette nuit-là pour disparaître sans laisser de trace ? J’ai voulu te suivre, mais cette rage qui était en toi et ce regard noir que tu m’as lancé m’en ont dissuadé ; je n’avais plus mon fils en face de moi, mais un être dangereux, prêt à me tuer s’il le fallait. Jusqu’au petit matin, j’ai espéré que tu reviennes, calmé. Et tu as laissé ta mère désemparée ; ce chagrin a blanchi ses cheveux en une nuit. Depuis votre fatidique dispute, elle refuse de sortir, cloîtrée dans ce manoir toutes les journées et toutes les nuits, les yeux souvent rivés vers l’allée que tu empruntas pour ne jamais revenir. Elle reste clouée dans son fauteuil roulant avec, pour seule compagnie, le fardeau de sa culpabilité. Où es-tu Aaron ? Comment vas-tu, chair de ma chair ? Je refuse toujours de croire que tu te sois perdu. Ces lieux n’avaient aucun secret pour toi. Et pourtant, je sais qu’avec Billy, nous aurions dû finir par te retrouver. Mais tu n’étais nulle part ; ni dans les collines, ni sur la falaise. À moins que... mais c’est impossible ! La lune était-elle rouge la nuit où tu t’es enfui, furieux après nous ? La brume descendait-elle de la mer ? Je ne m’en souviens pas, et cette idée s’insinue dans mes noires pensées depuis ta disparition. Non, c’est impossible ! Il n’y avait aucun homme de l’Ombre dans les parages, aucun corbeau aux yeux incandescents dans les branchages ou sur les toits, et le chat ne s’est pas manifesté une seule fois. Et je sais qu’il lui reste encore cinq vies. Oh Aaron ! Mon fils, mon sang ! Où es-tu ?"