J’ai attendu quinze mois avant d’avoir la force de relire les notes que ma mère avait écrites avant sa mort. Ces notes n’étaient pas des notes littéraires. On a découvert, le 15 janvier 1962, qu’elle avait une grosse tumeur dans la gorge. Le docteur a dû lui faire par surprise — elle n’acceptait rien — une trachéotomie qui devait l’empêcher d’étouffer. Et, progressivement, elle a perdu la voix. Elle écrivait donc chaque fois que nous ne la comprenions pas. De ces notes, il ne reste que le quotidien, que l’essentiel de son malheur. Tout ce qu’elle a écrit de pire, elle le faisait déchirer par l’infirmière pour que je ne sois pas triste, ou l’infirmière me le cachait. Plus tard, j’ai pensé que mon « expérience » devait servir aux autres. L’idée de tirer un livre de ce que nous venions de vivre, me scandalisait, mais j’ai voulu essayer d’aider quelques personnes à ne pas être prises de court, comme nous l’avions été devant ce mécanisme terrible où les initiés vous mentent par devoir. Je ne suis pas parvenue à écrire un livre tonique. C’était pourtant mon but, mais le ton de ce livre c’est elle qui l’a donné, elle qui me reprochait, en souriant, de ne jamais lui avoir dédicacé de livre.