La crise où se débattent aujourd’hui les Églises ressemble à un crépuscule. Sous nos yeux s’évanouit un monde de sécurités familières que rien, apparemment, ne remplace. L’homme aurait-il changé ? Et Dieu, qui visita jadis la Palestine, dirait-il autrement l’antique parole, lui rendant son goût de jeunesse ? Peut-être. On voit bien, en tout cas, ce que récusent les chrétiens les plus lucides : la manie d’organiser les choses de la foi, d’homologuer les croyants et de défendre l’institution. Cette manie, Ch. Wackenheim l’appelle “idéologie” et il y voit une altération mortelle de l’espérance. Progressiste ou intégriste, l’idéologie religieuse s’essouffle à vouloir tout concilier alors que l’Évangile annonce une folie et un scandale. L’adhésion à Jésus de Nazareth ne donne lieu, ni à une théorie explicative de l’histoire, ni à une société sacrée concurrente de la société politique. La foi n’est pas d’abord connaissance, mais action jaillissant d’une rencontre fondatrice. En réponse à la parole du Christ, le croyant confère un sens aux événements ainsi qu’aux mécanismes mis au jour par les sciences de l’homme. Sens parmi les sens, la foi interpelle, oriente et stimule. Ce rapport dialectique s’inverse en idéologie lorsque la raison substitue à l’articulation du sens et des structures l’illusion d’une continuité positiviste. Le sens chrétien n’a pas à coloniser un territoire qui serait distinct de la métropole ecclésiale. Conduite humaine, la foi se situe d’emblée au cœur de l’unique territoire que constitue l’existence historique. Empruntant à K. Mannheim la célèbre distinction entre idéologie et utopie, l’auteur de ce livre plaide pour une utopie prophétique — seule capable, à ses yeux, d’inscrire authentiquement l’Évangile dans le tissu de l’avenir.