Sur une route de Loire-Atlantique, un vieil homme marche, une petite valise de bois à la main, vers le village de son enfance. Il sort de la prison de Nantes. Quelques dizaines d’années plus tôt, il avait fait passer à sa Julie le goût des autres hommes avec sa serpette de vigneron. Aujourd’hui, la joie de sa libération est fortement tempérée par les angoisses que lui donne ce monde qu’il ne connaît plus ; par exemple, il ne peut maîtriser la peur panique que lui inspirent les automobiles. Heureusement, il va trouver un foyer et du travail chez son frère Clément. Mais la famille de Clément ressemble peu à l’image idyllique qu’il s’en faisait. Obsédé par la déportation et la mort dans un camp de concentration de son fils aîné, Clément enterre des cubes de savon et honore ces tombes symboliques. Sa fille Suzanne, paralysée des jambes, se consume dans des rêves d’amours impossibles ; Jean échafaude des combinaisons mirobolantes pour faire fortune aux courses, tandis que les deux jumeaux en sont encore à l’âge des farces dévastatrices. Quant à la mère, elle réduit la famille à la famine pour entasser des trésors comestibles dans des cachettes connues d’elle seule. En vérité, c’est dans un monde en folie que débarque le pauvre Georges, un monde où l’argent, le sexe, la misère et le remords mènent une danse à la fois macabre et joyeuse. La tête fatiguée de l’ancien prisonnier éclate devant tant d’extravagances drolatiques, et il comprend trop tard, sous les coups du neveu de Julie, qu’un assassin a toujours tort de revenir — même trente ans plus tard — sur le lieu du crime. Serge Godefroy avait vivement attiré l’attention avec son premier roman Les Loques. Dans Le Naufragé de Nantes il exprime de façon encore plus aiguë son sentiment tragique de la vie : l’impossibilité d’un retour en arrière, l’infidélité des choses même les plus humbles, l’irrévocable glissement des êtres vers leur perte.