L’animosité - allant parfois jusqu’à la haine - dont sont généralement l’objet les Américains dans le monde, et notamment en France, constitue un phénomène qui mérite analyse, hors de toute considération politique ou tactique. C’est ce cas, ressortissant presque à la tératologie, qu’a tenté de mettre en pleine lumière Julien Teppe, à grand renfort de documents, de statistiques, de références (sur les Noirs, le Vietnam, etc.), mais non sans humeur indignée. Le contraire eût surpris, venant de l’essayiste du « Manuel du désespoir » et de « L’idole patrie », à la plume volontiers tranchante comme un scalpel, et « à la position et aux idées passionnément discutées » (le Larousse dixit). On s’attachera particulièrement ici au tableau du singulier comportement des Français envers ceux à qui, depuis cinquante ans, ils sont si fort redevables, à commencer par l’existence même, le sauvetage économique, la sécurité et la liberté. C’est là un fait irréfragable, quelle que soit l’opinion de chacun — socialiste ou capitaliste — et quel que soit le goût, ou non, que l’on porte à la civilisation d’outre-Atlantique. Et sans méconnaître, certes, qu’ils sont loin d’être un corps céleste — rendre justice aux États-Unis est une œuvre de simple honnêteté, s’imposant à la conscience de tout moraliste. Objectivité d’abord. Or, qu’ils fussent cocardiers traditionnels ou marxistes totalitaires, prolétaires ou membres de l’intelligentsia, l’ensemble de nos compatriotes semblent ne pas éprouver de plus vif plaisir qu’en vomissant leur bile, à tout propos, sur nos indécourageables alliés. Ce serait chose curieuse si la psychologie ne nous enseignait que rien n’est plus lourd à porter que le fardeau des bienfaits reçus. L’ingratitude est monnaie courante chez les individus et, à plus forte raison, chez les peuples, fouettés par la vanité nationaliste et chauvine. D’où, cette réaction malsaine d’un anti-américanisme systématique, couronné — un comble ! — par des courbettes et sourires aux séides d’un impérialisme communiste, rouge ou jaune, asservisseur inégalé, comme vient de le montrer, une fois de plus, l’invasion de la Tchécoslovaquie. Inspiré essentiellement par une profonde conviction universaliste (des États-Unis d’Amérique aux États-Unis du Monde ?), ce livre à contre-courant du conformisme à la mode, mérite d’être goûté aussi bien par les âmes choquées avant tout d’une iniquité flagrante, que par les esprits d’avant-garde qui estiment inadmissible de saper toute amitié privilégiée entre deux nations (comme en la circonstance), les — rarissimes — amitiés de cette sorte formant d’inestimables matériaux à préserver en vue de l’édification d’un monde uni, sans frontières, seule solution capable de faire naître, enfin, une humanité pacifiée.