Les gens du pays appellent ça « la montagne ». C’est un vieux plateau cévenol qui étale ses rouilles au-dessus de l’Escandorgue. À chaque tournant de saison, on peut y entendre la sourde mutinerie des vents du mariri et la corne du Tarral qui hurle à faire éclater les granges. Souvent le ronflement des batteuses s’y mêle à celui des chars qui manœuvrent le long des pentes. Car l’activité agricole y côtoie naturellement celle du camp militaire tout proche... Mais, dès la fin des années soixante, on sent que les choses vont changer. L’extension du camp est prévue : déjà quelques « campagnes » sont touchées par les mesures d’expropriation, et notamment La Maladrerie, située à l’extrémité du champ de manœuvres, où vivent Salvy et Victoire dont l’existence paysanne n’a pas varié d’un geste depuis soixante ans. Or voici que Salvy perd sa femme. Il ne lui reste plus que le travail quotidien, qui rythme sa solitude. Et sa voisine de terre, La Dorée, mi-guérisseuse, mi-prostituée... Devant l’expropriation imminente, il réagira avec la seule fierté dont il soit capable — celle d’un animal pris au piège —, puis tâchera de se confondre avec la grisaille de ses bastides. Toute la force de la bête ne tient-elle pas dans sa simplicité ? Tragédie sans doute, de celles que la société en mouvement nourrit et fait un beau jour éclater... Mais Salvy a tant vécu sous mes yeux qu’il m’arrive de lui envier son mouvement de mâchoires, ses mains tendues au feu et sa belle façon d’appartenir aux femmes. C.A.