Il y a quelques années, Léo Lapara était interviewé à la télévision française, avant la présentation d’un film consacré à Louis Jouvet. Le lendemain de cette émission, Henri Jeanson écrivait : « En cinq minutes, Léo Lapara nous montra un vrai Jouvet... C’est que Léo Lapara, qui a vécu chez Jouvet avec Jouvet, joué chez Jouvet avec Jouvet, tourné dans les films de Jouvet avec Jouvet, connut Jouvet par cœur et qu’il sut en parler avec des mots qui valaient toutes les images du monde. » Ce sont avec ces mêmes mots, qui recréent effectivement des images d’une précision absolue, que Léo Lapara fait surgir, aujourd’hui, dans « Dix ans avec Jouvet », le portrait hallucinant de vérité d’un grand homme de théâtre, qui fut aussi l’une des vedettes les plus populaires de l’écran. Ayant été à la fois le secrétaire, le partenaire, le confident, et l’ami le plus fidèle de Louis Jouvet, depuis 1941, Léo Lapara accomplit le miracle de ressusciter la présence du célèbre comédien, au point qu’en lisant ce livre, on a l’impression d’entendre le créateur de « Knock » s’exprimer avec son fameux débit syncopé, où s’entrechoquaient curieusement les longues et les brèves. Oui, Jouvet parle. Il s’indigne et s’apitoie. Il persifle. Il avoue, pudiquement et douloureusement, ses déceptions, ses angoisses, et ses échecs. Léo Lapara évoque son « patron », tel qu’il était avec ses qualités, mais aussi avec ses travers. Tour à tour, il nous le montre équitable et injuste, sceptique et candide, rusé et confiant, généreux et égoïste, vindicatif et miséricordieux, orgueilleux et modeste, c’est-à-dire pétri des contradictions fondamentales d’un véritable être humain Il nous conte ses amours tourmentées, et nous entraîne, avec sa compagnie théâtrale, en Amérique du Sud où, pendant la dernière Guerre mondiale, Jouvet maintint le prestige de la France à l’étranger. Il nous révèle les rapports de Jouvet avec sa famille, et ses relations orageuses ou décevantes avec Jules Romains, Graham Greene, Anouilh, Sartre, Clouzot... et même le général de Gaulle ! Il nous le présente, enfin, touché au soir de sa vie, par la grâce divine. C’est un personnage indéniablement fascinant, que Léo Lapara nous fait finalement découvrir dans « Dix ans avec Jouvet », un personnage qui était un théâtre, et même un monde, à lui tout seul.