On a souvent évoqué l’importance de la maladie et de la médecine dans l’œuvre de Marcel Proust. Mais jamais, comme Serge Béhar, on n’avait montré qu’elles étaient un des ressorts de son art. Avec un don, que n’expliquent pas entièrement ses maladies et son appartenance à une famille de médecins, Proust se sert du langage médical le plus précis, soit comme repère chronologique — pour marquer le passage du temps — soit pour trouver des comparaisons, soit pour enrichir — par une véritable observation de clinicien — son intuition de romancier. C’est ainsi que la démarche hésitante de Charlus ne traduit pas seulement les progrès de son homosexualité, mais ceux de sa cérébrosclérose. Chaque geste, chaque attitude des personnages de "À la recherche du temps perdu" est un signe et, le plus souvent, un signe médical. Proust le déchiffre et pénètre ainsi dans la psychologie profonde. Ainsi s’éclaire le rôle que jouent, dans l’œuvre de Proust, médecins et malades, et la façon dont la mort y est présentée. Cela permet à Serge Béhar de reconstituer l’histoire de la pathologie du narrateur de "À la recherche du temps perdu". Cet essai montre aussi que la maladie et la mort finissent, chez Proust, par devenir théâtre. La mort « entre en scène », écrit-il. La maladie de tante Léonie est un spectacle dans un lit. Théâtrale aussi la mort de la grand-mère et, bien sûr, celle de la Berma. Malade, et médecin par sa science, Proust est aussi le metteur en scène de l’état pathologique. La maladie est — à La recherche du temps perdu — ce que l’argent est à La comédie humaine.