« Avec mes mains, je jette du rêve. » Guy Bouchauveau, sourd profond de naissance, énonce ainsi son irremplaçable échange avec de jeunes enfants sourds. Echange institutionnellement brisé à l’école, où, en 1880, la pratique du langage gestuel (la langue des signes française) fut interdite dans les institutions spécialisées. Cet ouvrage explique comment, pour des raisons politiques et économiques, cette décision a pu être prise : au siècle dernier, dans les grands internats d’enfants sourds, l’instruction se faisait au moyen de la langue des signes. De ce fait, la réussite scolaire ne dépendait pas de l’origine socio-culturelle des élèves. L’égalité des chances comme carte forcée éducative était alors une donnée inacceptable face à une scolarisation dominante fondée sur la reproduction héréditaire des rôles sociaux. La liquidation d’une telle « anomalie » ne pouvait toutefois s’effectuer sans cautions théoriques : celles-ci ne manquèrent pas ; le lecteur pourra juger sur pièces de leur valeur scientifique. Aujourd’hui, les institutions spécialisées restent des lieux où la non-communication entre maître et élève est la règle et où l’échange constitue l’exception ; des lieux où, pour l’enfant sourd, l’avenir se décide malgré lui. Depuis cent ans, l’éducation des sourds en France est bien l’histoire d’une colonisation sans fin par l’école. Alors, changer l’école, mais comment ? L’histoire est là, insistante : depuis le début de l’éducation des sourds jusqu’à l’interdiction des gestes à l’école, des modèles éducatifs originaux s’étaient développés, et paradoxalement, c’est peut-être le recours à ce passé oublié qui nous ouvre des pistes pour demain.