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Résumé

Entre les hommes qui ont vécu avant nous, surtout longtemps avant nous, et nous-mêmes, d'où vient que nous imaginons communément qu'il y ait une différence si profonde et presque infranchissable ? Certes, le temps est irréversible. Pas plus qu'un individu, une société ne peut remonter le cours des âges. Mais là n'est point la seule raison de ce sentiment d'étrangeté que nous inspirent les figures du passé. Elles nous paraissent loin de nous non seulement dans le temps, mais sur l'échelle des êtres, comme si elles appartenaient à une autre espèce, semblable à nous par la forme extérieure, mais plongée dans une atmosphère où l'on ne respirait pas le même air, où les idées, les sentiments, les sensations elles-mêmes ne pouvaient être les mêmes qu'aujourd'hui. C'est bien ce qu'on imagine, lorsqu'on lit des livres d'histoire ou des romans historiques, lorsqu'on visite des bâtiments anciens, des lieux où tout est demeuré inchangé depuis un demi-siècle, plus encore lorsqu'on évoque ceux qui ont vécu dans ce décor, passé le long de ces murs, et qui sont aussi loin de nous que des fantômes ou les habitants inconnus de quelque planète inaccessible.

De tels sentiments s'expliqueraient sans peine, si, indépendamment de tout ce qui a pu se transformer dans le milieu social, et même en supposant qu'il ne change pas, ou qu'il change peu, si l'homme lui-même, c'est-à-dire l'espèce humaine était soumise à une évolution. Alors, nous ne nous reconnaîtrions plus comme des êtres faits de la même substance, ayant les mêmes organes, et capables de réagir de la même manière aux impressions qui viennent du monde matériel. Chaque génération serait considérée comme répondant à une phase définie de cette évolution organique. Elle apporterait sur la scène du monde un ensemble de types physiques : tempéraments, corpulences, traits, regards, paroles et gestes, qui ont été réalisés à cette date, mais dont le moule est brisé, et que nous ne rencontrons plus autour de nous...

Nous devrons fixer notre attention sur les divers groupes humains, reconnaître quelles sont les représentations collectives dominantes dans ces ensembles, quelle est leur force et leur extension, quelles sont leurs limites. Nous aurons à les envisager aussi dans leurs rapports, à chercher si elles correspondent à des phases diverses d'une évolution dont les sociétés humaines en leur état actuel nous présenteraient, juxtaposées, des phases succes­sives, et quelles prévisions quant à l'avenir proche on peut tirer d'une telle comparaison. C'est dans le cadre des classes sociales, classes diverses, le plus large et aussi le plus naturel, le moins artificiel de tous ceux qui s'imposent aux hommes vivant en société, que nous poursuivrons notre examen des motifs sous leur forme collective, quitte, plus tard, et pour ne rien oublier, à faire retour sur d'autres catégories, et sur d'autres formes d'associations...

Auteur

  • Cet article provient du Dictionnaire des sciences humaines, sous la dir. de Sylvie Mesure et Patrick Savidan, Paris, PUF, coll. “ Quadrige/Dicos poche ”, 2006. HALBWACHS Maurice, 1877-1945 Maurice Halbwachs est né en 1877, soit dix-neuf ans après Durkheim. Il joua un rôle déterminant pour poursuivre l’œuvre de Durkheim et maintenir l’École sociologique française pendant l’entre-deux-guerres. D’origine alsacienne, Halbwachs fit ses études au lycée Henri IV et devint normalien, agrégé de philosophie en 1901, docteur en droit (1909) et en lettres (1912). Une carrière presque tracée d’avance : après des études brillantes, il est nommé professeur dans le secondaire comme son père, puis dans le supérieur. Dans sa jeunesse, il reçut tout d’abord l’influence de Bergson qui était son professeur de philosophie au Lycée Henri IV et se passionna pour la psychologie à travers son enseignement. Il rencontra également au début du siècle François Simiand, tête pensante des universitaires socialistes, dont il partageait les convictions politiques et admirait la rigueur de ses analyses sociologiques. Celui-ci l’influença dans sa décision de prendre des distances avec la métaphysique. C’est sans doute en Allemagne, lors de son séjour à l’Université de Göttingen, où il obtint en 1903 un poste de lecteur, que s’opéra réellement sa conversion intellectuelle. Il en profita pour écrire un petit livre sur Leibniz ([1907] 1933), mais aussi, pour s’initier à l’économie politique allemande. À son retour, Simiand lui proposa de collaborer à l’Année sociologique, ce qu’il fit à partir de 1905. Il devint à partir de cette date un fidèle représentant de l’ “ École sociologique française ”. Halbwachs s’engagea dans un combat difficile pour faire reconnaître la sociologie à l’Université de Paris. Il prépara sa première thèse de droit qu’il soutint en 1909 sous le titre Les Expropriations et le prix des terrains à Paris (1860-1900). Cette thèse qui dénonçait le caractère tautologique de la loi de l’offre et de la demande ne fut guère appréciée par les économistes, ce qui obligea Halbwachs à renoncer à son projet d’implantation dans les facultés de droit. Il se tourna donc vers la Faculté de Lettres et rédigea deux nouvelles thèses soutenues en 1912, la principale intitulé : La Classe ouvrière et les niveaux de vie. Recherches sur la hiérarchie des besoins dans les sociétés industrielles contemporaines, et la complémentaire : La Théorie de l’homme moyen. Essai sur Quételet et la statistique morale. On peut voir dans la Classe ouvrière, le prolongement et l’affirmation de la pensée d’Halbwachs. Si le thème des besoins ouvriers était déjà abordé dans les Expropriations, il fait l’objet désormais d’une analyse beaucoup plus approfondie où apparaît notamment le concept de “ niveau de vie ” que l’on retrouvera d’ailleurs mobilisé dans Les Causes du suicide sous le terme plus maîtrisé de “ genre de vie ”. Pour expliquer les tendances de consommation des ouvriers, Halbwachs ne se contente pas de la variable revenu, “ ce qui est déterminant, pour lui, c’est le “niveau de vie” propre à chaque classe sociale, c’est-à-dire sa représentation collective du niveau social où elle se trouve ” par rapport “ aux biens regardés comme les plus importants ” dans la société et “ son estimation du degré où il est permis aux membres de la classe de satisfaire les besoins qui s’y rapportent ”. La participation réduite des ouvriers à la vie sociale est, d’après lui, prévue par la société et résulte de représentations collectives de ce qui est commun à la classe ouvrière, à savoir son rapport à la matière dans le travail d’usine. La faible sociabilité des travailleurs manuels qui ressort de l’analyse détaillée de leurs dépenses doit être interprétée à partir de leur rapport au travail. En faisant corps avec sa machine, l’ouvrier d’usine se transforme en force de travail, se déshumanise et s’éloigne progressivement de la société, laquelle n’est pas étrangère à ce processus. Par ces analyses, Halbwachs introduit dans la sociologie française le thème de la stratification sociale et de variabilité des genres de vie. En 1919, Halbwachs fut nommé, dès sa création, à l’Université de Strasbourg, qui connut un rayonnement exceptionnel. Sa carrière et son itinéraire intellectuel prirent alors un tournant décisif. C’est au cours de cette période, qui dura jusqu’en 1935, qu’Halbwachs écrivit quelques-uns de ses ouvrages les plus importants, notamment Les Causes du suicide ([1930] 2002), mais aussi Les Cadres sociaux de la mémoire ([1925] 1994) et L’Évolution des besoins dans les classes ouvrières (1933). C’est également au cours de cette période qu’il participa à la demande de l’historien Lucien Febvre à la rédaction de la troisième partie du tome VII de l’Encyclopédie française, intitulée Le Point de vue du nombre en collaboration avec Alfred Sauvy, Henri Ulmer et Georges Bournier. Les historiens des sciences reconnaissent dans cette entreprise la volonté d’Halbwachs de constituer une nouvelle morphologie sociale en prenant au sérieux les concepts de hasard et de probabilité. Dans l’un de ses derniers écrits intitulé justement Morphologie sociale ([1938] 2003), il avance l’idée selon laquelle la société, tel un corps organique, se perpétue en se fixant dans des formes matérielles qu’elle impose aux membres dont elle est faite. Si ces derniers passent et meurent, la société reste et conserve une autonomie, une existence propre qui s’impose aux esprits de génération en génération. La contribution d’Halbwachs à l’ “ École sociologique française ” est aussi importante qu’originale puisqu’elle témoigne à la fois d’une grande fidélité au projet primitif de Durkheim et d’une ouverture tant à des objets inédits comme les classes sociales et les genres de vie, à des approches nouvelles ou peu développées en sociologie comme la morphologie sociale et la psychologie collective, qu’aux représentants des disciplines voisines de la sociologie avec lesquelles il ne cessa de débattre. Élu professeur au Collège de France en 1939 dans la chaire de psychologie collective, il ne put malheureusement y enseigner puisqu’il fut arraché à son travail et connut une mort tragique en déportation, en laissant une œuvre inachevée, mais pourtant extraordinairement riche.   l Leibniz (1907), Paris, Mellottée, 1933. — La Classe ouvrière et les niveaux de vie. Recherches sur la hiérarchie des besoins dans les sociétés industrielles contemporaines (1912), Londres, Gordon and Breach, 1970. — La Théorie de l’homme moyen, Paris, Félix Alcan, 1912. — Les Cadres sociaux de la mémoire (1925), Paris, Albin Michel, 1994. — Les Causes du suicide (1930), Paris, puf, 2002. — L’Évolution des besoins dans les classes ouvrières, Paris, Félix Alcan, 1933. — Morphologie sociale (1938), Paris, A. Colin, 2003. — La Topographie légendaire des évangiles en Terre Sainte (1941), Paris, puf, 1972. — Jean-Jacques Rousseau : le contrat social, Paris, puf, 1943. — La Mémoire collective (1950), Paris, Albin Michel, 1997. — Esquisse dune psychologie des classes sociales (1955), Paris, Marcel Rivière, 1964. — Classes sociales et morphologie, Paris, Minuit, 1972.   u “ Maurice Halbwachs et les sciences humaines de son temps ”, Revue d’histoire des sciences humaines, 1999, no 1.   Serge Paugam

Auteur(s) : Maurice Halbwachs

Caractéristiques

Editeur : Editions Le Mono

Auteur(s) : Maurice Halbwachs

Publication : 28 novembre 2022

Edition : 1ère édition

Intérieur : Noir & blanc

Support(s) : Livre numérique eBook [Mobi/Kindle + WEB + ePub]

Contenu(s) : Mobi/Kindle, WEB, ePub

Protection(s) : Marquage social (Mobi/Kindle), DRM (WEB), Marquage social (ePub)

Taille(s) : 1,14 Mo (Mobi/Kindle), 1 octet (WEB), 340 ko (ePub)

Langue(s) : Français

Code(s) CLIL : 3134, 3081

EAN13 Livre numérique eBook [Mobi/Kindle + WEB + ePub] : 9782381115085

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