En 1986, nous lancions cet appel aux Gennevilllois : En prose… en poèmes… en chansons… en paroles… faites vos dons ! Il y avait là, pour un propos culturel, singulièrement un caractère d’urgence, une invitation pressante à la solidarité, en quelque sorte un plan ORSEC de salubrité publique face au silence. Nous ressentions une joie réelle à donner la parole, ouvrir un droit, inviter chacun à l’offre générale de signes quotidiens de langue, habituellement confinés dans le secret du « je », voués aux petits cercles des affinités électives. Tout simplement entendions-nous briser le silence imposé par la pression dominante d’une culture cultivée. Décliner la démocratie jusqu’aux limites du possible de tout dire, justement pour ceux-là qui en revendiquent l’instauration idéale comme nécessité vitale : hommes et femmes brisés par les inégalités sociales et culturelles dont chaque acte de vie n’en est pas moins source d’imaginaire trop souvent intransmissible. Était-ce là faire appel à la révélation de nouveaux écrivains ? Non, aucun des auteurs publiés dans cet ouvrage n’a la prétention de s’affirmer comme tel. Tout au plus, il s’agissait de créer les conditions de la reconnaissance de ces gestes d’« écrivants » comme l’expression d’une richesse constitutive d’un patrimoine à part entière, émanant de chacun dans ce « dur désir de dire », mesurée à sa juste place dans l’ensemble des signes d’intelligence individuelle et collective. Désorganiser la hiérarchisation du droit à « dire », désarticuler les réseaux qui en filtrent l’émergence, créer un espace libre pour une parole toujours possible, ce fut là notre propos. Cet ouvrage en est un témoignage. Résultat d’une initiative particulière et circonscrite dans cette immense ambition, il ne prétend exprimer que ce qui s’est élaboré dans son cadre : une trace écrite à dire d’une parole saisie à partager. Il n’en est pas moins vrai que ce livre a la pérennité des autres. Livre parmi les livres, chaînon irremplaçable dans les outils de la connaissance de notre temps. Que tous ceux et celles qui ont offert leur parole et participé à l’élaboration de cet ouvrage soient ici remerciés.