Tradition, paresse, niaiserie, hypocrisie se sont liguées pour banaliser et étouffer dans l’institution ces deux grands vivants, artistes-hommes de lettres : Jules et Edmond de Goncourt. Leur intelligence, leur prodigieuse sensibilité, leur étrange sexualité : on a oublié tout ce qui, dans ce foisonnant dix-neuvième siècle, fait d’eux des êtres différents - et inclassables. Wanda Bannour, qui pense - comme les Goncourt - que la vérité nous est livrée par l’imaginaire le plus audacieux, sait apercevoir la figure de l’essentiel dans ce singulier « ménage » : la figure inattendue de l’Androgyne, Juledmond sous Jules et Edmond. Parcourant le Journal avec l’auteur, nous découvrons les hautes intensités de cette vie gémellaire, en même temps que les rites de sa quotidienneté. Haines, répulsions, ferveurs, adorations, tocades et fureurs, mais, aussi, promenades, migraines, conversations, cris de la rue, potins, menus, ciels de brume, salauderies, guêtres, bibelots, maîtresses et tables d’hôte : l’intérêt de cette étude originale, qui choquera plus d’un des gardiens du temple bien bouclé de la mémoire et de l’œuvre des frères, réside entre autres, dans l’extraordinaire aptitude qui y éclate à saisir la profondeur jusque dans la peau des êtres et des choses, et à faire d’une biographie une œuvre de vie, une œuvre vive, un roman vrai. C’est l’empathie, plus qu’une appréhension strictement intellectuelle, qui, dans une grande vibration d’intelligence critique, guide Wanda Bannour vers le secret des Goncourt. Son profil singulier - de culture cosmopolite et, plus particulièrement, slavisante, elle est aussi agrégée de philosophie, docteur d’État, et elle a enseigné les arts plastiques - explique probablement la manière singulière dont elle a su aborder le continent de Juledmond.