Un adulte dont on se sait pas grand-chose se souvient de son enfance dans le quartier de Poul-ar-Bachet à Brest. Mais la mémoire est sélective. Ce n’est pas l’histoire d’une famille qu’il raconte ; ce qu’il nous livre, ce sont les événements, les rencontres, les découvertes, les amours, les peines qui ont fait de ces années, des moments d’apprentissage. Au pied des remparts s’étendaient les quais et les bassins où la rade, comme un auroch têtu, venait bouter sa corne. Le clapot, avec la régularité d’une horloge, hargneusement pilonnait le quai des balises et me rappelait Rocky Marciano qui détruisait ses adversaires avec l’implacabilité de ceux qu’un échec rejette dans la misère. Je m’assis à l’abri d’une bouée peinte en vert. Le ressac cognait, cognait, cognait la pierre du quai comme un animal patient qui se serait dit : j’ai mille ans devant moi, j’ai mille ans pour le détruire. Mes poings fermés se mirent à marteler la balise qui sonna comme un gong et le gong se transforma en roulement de tonnerre, tant je frappai vite. J’étais le Gallois Jimmy Wilde, le petit rachitique sorti de la mine qui mitraillait ses adversaires à toute vitesse. J’étais Benny Lynch, l’Ecossais des Lowlands, pas plus grand que moi et peut-être encore plus frêle, qui entrait sur le ring comme un poète élu et en sortait couvert de gloire. Je décidai d’aller trouver Luis et de lui dire : « Entraîne-moi, fais de moi un champion ».