Le formaliste russe Victor Chklovski déclarait que Tristram Shandy était « le roman le plus caractéristique de la littérature universelle » et l’on a pu se demander quelles étaient les raisons de cette incomparable singularité. Laurence Sterne se classe dans la lignée des humoristes qui avaient écrit des œuvres destinées à parodier certaines formes romanesques afin de les ridiculiser par la caricature. Ainsi, Cervantes, Sorel, Scarron. Comme ses prédécesseurs il a voulu parodier certains romans de son temps, mais il a été beaucoup plus audacieux en s’attaquant au genre en tant que tel. De même que Mallarmé qui, dit-on, n’a fait de la poésie que pour préciser l’essence de la poésie, Sterne n’a fait du roman que pour préciser l’essence du roman. Sachant qu’il allait déconcerter son public, il s’est fait le critique et le théoricien de son roman, et cela à l’intérieur même de l’œuvre, afin de guider le lecteur dans le labyrinthe de son histoire. Et il l’entraîne en effet dans une aventure extraordinaire avec une intelligence et un humour enchanteurs. Vers le milieu du XXe siècle, de même que Sterne, les Nouveaux Romanciers concevront le roman non plus comme « l’écriture d’une aventure » mais comme « l’aventure d’une écriture ». Une Critique Nouvelle permettra non seulement d’apprécier des œuvres d’une lecture difficile mais de projeter sur des œuvres du passé des éclairages nouveaux et des plus révélateurs. Et l’on découvrira alors en Laurence Sterne un précurseur de génie.