Qui est Bap ? Il vit seul, sans argent, sans vrai logis. On ne lui connaît ni travail ni famille. Il se laisse dériver dans le temps au gré de pulsions vite retombées. Il aurait continué à contempler les eaux moirées des canaux et à saluer les dames exposées dans les vitrines si une de ses dents ne s’était soudain décomposée. Mais comment se faire soigner sans carte de Sécurité sociale ? Afin de l’obtenir, il se laisse embaucher au Consortium pour trois semaines. Il y restera des dizaines d’années. Cet être en état d’apesanteur s’englue dans l’univers clos où il vient de pénétrer. Aucun travail ne semble exigé de lui. Le Consortium lui procure la nourriture et lui accorde à volonté les fournitures de bureau. On le laisse errer dans les couloirs et s’enfermer dans les toilettes pour détailler sa personne, sucer des caramels et feuilleter des catalogues. Les objets, surtout, l’assaillent et le fascinent. Avec une obstination d’insecte, Bap, incapable de se projeter dans le temps autrement que par la répétition et l’accumulation, entreprend d’organiser le monde inépuisable des bricoles. Il récupère des milliers de trombones et les monte en bijoux, collectionne les bouts de ficelle et les assemble en sculptures, amasse des monceaux de sucre dans leur emballage de papier. Ainsi lestée, son existence s’enfle, prend du poids. Bap devient un personnage important et Mag, contre son gré peut-être, pénètre dans sa vie. Est-ce là le bonheur ? Ainsi se développe, prolifère, nous envahit le fantasme, porté par une écriture souveraine qui va au pas tranquille et obsédant du héros. On évoquera, peut-être, Beckett ou Kafka. Mais comment ne pas voir que c’est de nous, d’abord, que ce livre parle ?